Treize millions de Français sont touchés par des troubles psychiques, et la santé mentale est devenue Grande Cause Nationale 2025. Pourtant, la psychiatrie reste mal comprise et stigmatisée. Dans un épisode de Soluble(s), le Dr David Masson, psychiatre et chef de service en réhabilitation psychosociale au Centre Psychothérapique de Nancy, démonte les idées reçues et révèle les solutions concrètes qui transforment déjà la prise en charge.
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Démystifier la psychiatrie pour mieux soigner
La réalité du quotidien psychiatrique est bien éloignée des représentations populaires. « La psychiatrie, c’est forcément de l’enfermement en asile. C’est que pour les fous…« , énumère David Masson en listant les idées reçues tenaces. Une vision archaïque qui fait encore des ravages : la psychiatrie reste parmi les spécialités les moins demandées par les étudiants en médecine, figurant régulièrement dans les derniers rangs malgré d’importants besoins.
La réalité est pourtant différente : « Plus de 80 % de notre activité est uniquement de la consultation« , précise le psychiatre. « Beaucoup de patients qu’on voit ne sont jamais hospitalisés. Ce n’est pas un passage obligatoire. » Quand l’hospitalisation s’avère nécessaire, elle dure en moyenne deux à trois semaines pour des situations aiguës, dans un cadre médical moderne et bienveillant.
Le Dr Masson rappelle une distinction fondamentale souvent ignorée : « La santé mentale, c’est un capital qu’on a tous. Elle peut être bonne ou mauvaise à certains moments. » Selon la définition de l’OMS, elle permet à chacun de « réaliser son potentiel et faire face aux difficultés normales de la vie ». Les troubles psychiques, eux, surviennent quand cette souffrance devient significative, durable et altère le fonctionnement quotidien.
« C’est pas possible de vivre une vie avec une santé mentale tout le temps au top. Le bien-être en permanence, c’est pas possible et irréaliste« , insiste-t-il. Cette normalisation des moments difficiles constitue déjà un premier pas vers la déstigmatisation.
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Des solutions innovantes qui révolutionnent les soins
Au-delà des médicaments et psychothérapies traditionnelles, la psychiatrie moderne développe des approches novatrices. La psychoéducation, peu connue du grand public, permet aux patients d’acquérir des compétences d’auto-soin. « Dans la schizophrénie, réaliser des actions de psychoéducation vis-à-vis des proches diminue le risque de rechute par deux. C’est autant que les médicaments« , note David Masson.

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Cette approche psychoéducative dépasse le simple cours magistral : « Il y a un ensemble de questions et les professionnels vont essayer d’amener des réponses aux personnes concernées. » Les programmes abordent trois dimensions : comprendre la maladie, maîtriser les traitements, et gérer le quotidien. « Comment je fais si je veux faire un prêt immobilier ? Comment je parle de ma maladie à mon employeur ? » autant de questions concrètes qui trouvent des réponses pratiques.
L’arsenal thérapeutique s’enrichit également d’outils divers et validés : « Vous avez un panel très important de différentes psychothérapies. Il faut savoir qu’il y a vraiment beaucoup, beaucoup de possibilités thérapeutiques« , souligne le psychiatre, qui évoque également l’hypnose pour les troubles anxieux et l’EMDR pour le psychotraumatisme, autant d’outils aujourd’hui scientifiquement prouvés.
La révolution de la pair-aidance
L’innovation la plus marquante reste la pair-aidance : d’anciens patients, formés et diplômés, intègrent désormais certaines équipes soignantes. « J’ai la chance de pouvoir travailler avec des médiateurs de santé-pairs depuis 2021« , témoigne David Masson avec enthousiasme. « Leurs paroles ont beaucoup plus de poids que nous, professionnels. C’est incommensurable. »
Ces médiateurs utilisent leur « savoir expérientiel » pour accompagner les patients vers le rétablissement – défini comme « avoir une vie satisfaisante malgré la présence d’un trouble psychique ». Intégrés pleinement aux équipes, ils accèdent aux dossiers médicaux, participent aux réunions et voient des patients en individuel ou en groupe.
« C’est des métiers qui nous enrichissent à la fois nous, en tant que professionnels, sur les erreurs que l’on peut faire« , reconnaît le psychiatre. « Et puis aussi avec les patients en disant : oui, c’est possible d’aller mieux en fait, c’est pas juste une vue de l’esprit. » Cette innovation humaine transforme l’espoir en réalité tangible pour les patients.
Prévention du suicide : des progrès encourageants malgré des défis persistants
Malgré 8 869 décès par suicide en 2023 et 200 000 tentatives annuelles, les chiffres révèlent une baisse constante depuis les années 80. Le numéro 3114, gratuit et accessible 24h/24 depuis 2021, constitue un dispositif majeur d’intervention. La société peut se mobiliser autour de la prévention du suicide. « Contrairement à une idée reçue, parler du suicide n’est pas suicidogène. Demander explicitement à quelqu’un : ‘As-tu des idées suicidaires ?’ est plutôt une protection », précise David Masson.
Cette approche directe permet de « tendre une main et ouvrir ou rouvrir le champ des possibles« . Car dans la crise suicidaire, « souvent les gens n’ont pas envie de mourir, ils veulent arrêter de souffrir« . Le 3114 s’adresse non seulement aux personnes en détresse, mais aussi aux familles, aux professionnels et à toute personne confrontée à cette situation.
L’approche préventive s’appuie également sur le programme Papageno, qui forme journalistes et citoyens à mieux parler du suicide. Inspiré d’un personnage de Mozart qui surmonte ses idées suicidaires, ce programme combat l’effet Werther (contagion suicidaire) par l’effet Papageno (messages d’espoir).
L’IA en santé mentale : promesses et vigilance
Face à l’essor des chatbots utilisés comme « compagnons » ou simili psy par certains patients, David Masson prône une vigilance éclairée. « ChatGPT n’est pas un médecin. Il n’est pas en capacité de traiter l’ensemble des informations pour donner un diagnostic correct« , rappelle-t-il.
« Un agent conversationnel est conçu pour être sympa avec l’utilisateur. Il y a des biais de confirmation derrière« , explique le psychiatre. Le danger ? « S’attacher à un être qui n’existe pas » et se retrouver enfermé dans « une bulle de filtre où finalement, on se retrouve seul avec quelqu’un qui n’existe pas, mais qui comprend ce que je ressens« .
>> Voir aussi : IA : Rester humain face à la machine, Mission impossible ? Avec Maxime Derian (Anthropologue)
Cette disponibilité 24h/24 peut paradoxalement isoler davantage les personnes vulnérables, créant une dépendance à une empathie artificielle. Une problématique particulièrement préoccupante alors qu’une enquête YouGov menée en 2024 indiquait qu’une majorité de jeunes Américains (55%), âgés de 18 à 29 ans, sont désormais ouverts à l’idée de confier leurs problèmes de santé mentale à une intelligence artificielle.
Grande Cause Nationale 2025 et évolution des mentalités
Désignée Grande Cause Nationale 2025, la santé mentale bénéficie d’une visibilité croissante. Les témoignages publics de personnalités comme celui de Nicolas Demorand, sur le trouble bipolaire, contribuent à lever la stigmatisation, marquant « à quel point les choses ont évolué« . Le journaliste de France Inter et auteur de “Intérieur nuit” (Ed. Les Arènes) confiait son antenne, en mars 2025, “Je suis malade, au nom de quoi devrais-je mentir ? Quelqu’un qui a un cancer ou une hépatite ne ment pas !” de quoi contribuer à faire changer les regards et combattre la crainte que de parler de sa bipolarité nuirait à sa crédibilité professionnelle.
Mais David Masson met en garde contre la généralisation : « Chaque parcours est particulier. Ça ne veut pas dire que toutes les trajectoires des personnes avec une bipolarité seront forcément les mêmes. » L’important reste l’accès aux soins et la personnalisation de l’accompagnement.
Malgré les 23 milliards d’euros annuels consacrés à la santé mentale en France – les dépenses annuelles de l’Assurance maladie « au titre de la souffrance psychique et des maladies psychiatriques » sont supérieures à celles pour les cancers (21,6 Mds€) – les difficultés d’accès persistent. « Avoir un rendez-vous en CMP, c’est compliqué. Ça peut prendre plusieurs mois« , reconnaît le psychiatre. D’où l’importance des nouveaux métiers : assistants sociaux, ergothérapeutes, infirmiers en pratique avancée, médiateurs de santé-pairs.
La psychiatrie moderne prouve qu’elle peut vraiment aider à « avoir une vie satisfaisante malgré la présence d’un trouble psychique », comme le définit le rétablissement. Des innovations comme la pair-aidance aux programmes d’éducation thérapeutique, les solutions existent pour que chacun puisse retrouver son potentiel et sortir des représentations archaïques d’une discipline médicale en pleine mutation.
Simon Icard (rédigé avec IA)
POUR ALLER PLUS LOIN
- Lire : « Santé mentale : Ce que peut vraiment la psychiatrie » – Par Dr David Masson aux éditions du Détour
- Suivre David Masson sur les réseaux sociaux : @psy_massondavid -> X (ex-twitter) – BlueSky – LinkedIn.
Si vous ou l’un de vos proches avez des pensées suicidaires :
- Appelez le 3114, le numéro national français de prévention du suicide (gratuit, 24h/24, 7j/7)
- Visiter : le site officiel 3114.fr
- Composez le 15 ou le 112 en cas d’urgence médicale (France)
Voir aussi : le site du programme Papageno évoqué dans cet épisode.
TIMECODES
00:00 – Introduction : la santé mentale, un sujet qui concerne tout le monde
01:59 – Pourquoi avoir choisi la psychiatrie ?
04:39 – Qu’est-ce que la santé mentale ?
07:32 – Différence entre santé mentale et troubles psychiques
10:36 – Quand et comment consulter un psychiatre ?
13:07 – Lutter contre les idées reçues sur la psychiatrie
14:59 – À quoi ressemble un hôpital psychiatrique aujourd’hui ?
17:26 – La parole se libère : personnalités publiques et réseaux sociaux
19:58 – L’intelligence artificielle (ChatGPT) comme soutien psychologique ?
23:06 – Au-delà des médicaments : les nouvelles approches en psychiatrie
25:20 – La psychoéducation : acquérir des compétences face à ses troubles
29:23 – Nouveaux métiers : l’importance des pairs-aidants
31:39 – Prévention du suicide : un enjeu majeur de santé publique
35:57 – Le 3114 : le numéro national de prévention du suicide
38:28 – Le programme Papageno : bien parler du suicide pour mieux prévenir
41:39 – Merci à David Masson !
42:41 – Fin
En direct de David Masson – Psychiatre et auteur de « Santé mentale : Ce que peut vraiment la psychiatrie »
– Sur le prestige de la psychiatrie :
« Être psychiatre c’est aussi être médecin et c’est peut-être pas aussi spectaculaire que d’opérer. Peut-être pas aussi simple, pas aussi prestigieux que d’être cardiologue ou neurologue. Mais on a une spécialité tellement riche que je ne peux que la faire découvrir. »
– Sur la définition de la santé mentale :
– Sur la différence entre moments difficiles et pathologie :
« C’est logique de rencontrer des moments difficiles et d’y réagir avec des réactions qui sont certes désagréables, mais qui sont immanquables dans une vie. Et c’est pas forcément pathologique. »
– Sur l’impact des médiateurs de santé-pairs :
« Leur métier est de travailler avec leurs savoirs expérientiels en lien avec leur maladie, leur parcours, pour aider les patients à retrouver de l’espoir. […] Et puis aussi avec les patients en disant : c’est possible d’aller mieux en fait, c’est pas juste une vue de l’esprit. Et leurs paroles ont beaucoup plus de poids que nous, professionnels. C’est incommensurable. »
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